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アラン『藝術論集』日本版への序


Pour Monsieur T. Kuwabara. Le 11 octobre 1939.

Préface au Système des Beaux-Arts pour mes lec-
teurs japonais.

Que de fois j'ai pensé à écrire une préface pour le Système
des Beaux-Arts
! On dira que cette idée me venait un peu tard.
Or la traduction de cet ouvrage en Japonais, qui va être fai-
te prochainement, rend cette préface tout-à-fait opportune,
et me donne occasion de formuler des principes et des règles
de méthode, que jusqu'à présent, dans un travail presque
sousterrain, qui poussait une galerie et puis une autre, je
n'avais même pas considérés.

Quand j'entrepris de traiter des Beaux-Arts, je n'avais
pas grand espoir de mener à bien cet ambitieux projet. J'y
avais souvent pensé, rencontrant alors, comme tou-
jours, un terrain solide et résistant, et faisant le
dénombrement de mes certitudes; j'avais amplement
travaillé les conditions du beau dans les oeuvres littérai-
res; ces travaux firent partie de mes études et me servirent
beaucoup dans les examens et concours que je devais affron-
ter; je pense surtout à la licence ès-lettres et à l'Ecole Nor-
male; plus que tous les autres, le problème de la prose
m'avait retenu; j'étais tout près d'apercevoir pourqoui
la prose de Candide était belle; or ce chemin était le
bon chemin; je le pris parce que je n'en voyais point
d'autre. Il me parut que le beau supposait d'un
côté une forme intelligible, mais aussi une matière
résistante et même rebelle.

J'eus lieu de l'éprouver lorsque j'étudiai l'Humour
de Voltaire; mes plus récentes études, m'ont rame-
né à cette question. Ce genre de comique, si remar-
quable dans Dickens, résulte principalement d'un
contraste violent entre une forme tout-à-fait rai-
sonnable, syntaxe et vocabulaire, et des considé-
rations assez vulgaires et communes, comme on
la trouve dans les Pickwick Papers. Voltaire est
excellent quand il énonce de burlesques axiomes
dans le langage de Bossuet et de Port-Royal; cette
forme annonce le sérieux et circonscrit un genre
de sottise tout-à-fait inattendu. La prose de Moliè-
re donne lieu aux même remarques.

Maintenant comment passer de ces faciles
analyses à l'architecture et à la peinture? C'est
ce que je ne voyais point.

Dans le temps que je passai à canonner au-
tour de Verdun, j'eus avec le capitaine T
qui était un peintre, nombre d'entretiens sur
le beau, soutenus par des reproductions de Cé-
zanne et de Claude Monet. J'eus une expé-
rience personnelle qui m'éclaira beaucoup,
et que j'ai déjà racontée. Je fis le peintre, mais avec
des crayons de couleur, et sur une surface vernie
sur laquelle ils refusaient de marquer. Le résul-
tat fut bien frappant, et surtout par une ressem-
blance inattendue avec les primitifs; je tenais la
cause sous mes doigts, encore qu'on ne voie pas aisé-
ment, dans ce cas élémentaire, le même emploi de
forme et matière, qui m'était familière, mais là-
dessus je passai outre, car je savais qu'il était sage
de passer outre, et que la difficulté soudainement
sentie, dans un cas pariticulier était toujours un
grand avertissement de ne point me laisser détour-
ner; je laisserai donc ce point de doctrine en cette
obscurité où je le vois, et je ferai encore une
fois ce que j'ai fait en chacun des chapitres des
Système. Je m'appuyai sur l'esprit de système,
pour décider que tout ne pouvait s'arranger à la
virgule et pour me fier aux accidents.

Je fus tiré d'embarras par un exemple remar-
quable de la résistance de la matière, c'est l'exem-
ple des jardins; car il est clair que des éléments
d'un jardin, plantes, gazon, fleurs, résistent aux
projets et exigent du jardinier un genre de coura-
ge et de ruse qui finit par exprimer dans la for-
me, les résistances mêmes. Il est permis de devi-
ner qu'un portrait offre des mêmes difficultés
et les mêmes triomphes, sans compter la résistance
propre à la peinture à l'huile, que la toile ne cesse de
refuser; les idées tendaient à la même conclusion,
c'est à savoir que l'œuvre d'art se trouve dessinée
par une suite d'echecs, et exprimait cela même bien
plutôt que les états d'âme du modèle. J'étais en-
core loin d'essayer ces moyens d'analyse sur la
poésie qui, comme un critique (Michel Arnauld)
l'a remarqué, est absente du Système. Ce scan-
dale fut vivement senti et me donna l'élan
nécessaire pour mon entreprise. Les pensées ga-
lopent sous l'aiguillon; par un pressentiment
obstiné, je me jurai que la poésie était un des
Beaux-Arts. Il n'y a pas longtemps que j'en
eus confirmation en interrogeant les poèmes
de Paul Valéry. Les vers sont des tentatives
hardies pour régler d'avance la déclamation,
le souffle et même la prononciation; ici
encore le crayon ne prend guère et toutefois
les triomphes sont enivrants. De cette
manière il fallait expliquer la rime et
donner à l'idée ce rendez-vous sonore. Je
n'y pensais même pas en ce temps-là,
si ce n'est que je gardais la position du
poète au seuil de la mémoire; et c'était
encore la même idée; car la rime fait rai-
son et mnémotechnie. On trouvra dans le Système
des avances de ce genre, arrêtées net; bien lire c'est
s'y arrêter et y trouver espérance. Et j'ai du moins
réussi en ces pages, ce que je devais à vous, ingénieux
enfants, c'est à savoir un genre d'obscurité qui nour-
rit, et dans lequel je fus toujours maître.

Vous voyez donc maintenant le professeur sortir de
son long sommeil et chercher dans un genre d'atten-
tion une sorte d'écho à ses noirs de pensées. Je tou-
che ici à ce qu'on peut nommer la poésie de la pro-
se; il y a poésie dans la prose autant que l'expression
dépend de la sonorité. Je ne sais si elle n'en dépend
pas même dans un mémoire de Lagrange; je n'ose
dire non, car j'aime filialement la prose. J'analysai
l'éloquence de la même mannière, en faisant sonner
l'homme dans l'édifice, de façon que, comme dit Platon,
les pierres et les rochers fussent complices de l'idée. Cette
analyse va loin et ramène à la poésie par la considé-
ration d'une longueur de la période, réglée même sur
l'écho dans le théâtre. Remarquez qu'encore aujourd'hui
le Système fait des découvertes.

Comme j'ai pris pour règle de clore en cet ouvrage
plutôt que d'expliquer, on me permettra d'appliquer
encore cette règle dans cette préface.

     Alain

<註>
上記は、『藝術論集』に載せられてゐるアラン直筆の文章の写真から起こしたものです。"Portraits de famille"に収められてゐるPréface au « Systè des Beaux-Arts » édition japonaise de 1939とは細かな違ひがあります。


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